La première mention de célébrations de la Saint-Jean-Baptiste en Amérique du Nord remonte à 1606, alors que des colons en route vers la future Acadie s’arrêtèrent sur les côtes de Terre-Neuve, le 23 juin (Cf. Jean Provencher, 1982, p. 195-196).
Le point du jour venu, qui était la veille de la saint Jean-Baptiste, à bon jour bonne oeuvre, ayans mis les voiles vas, nous passames la journée à la pêcherie des Morües avec mille rejouissances & contentemens, à cause des viandes freches que nous eumes tant qu’il nous pleut (…) Sur le soir nous appereillames pour notre route poursuivre, après avoir fait bourdonner noz canons tant à cause de la fête de sainct Jean, que pour l’amour du Sieur Poutrincourt qui porte le nom de ce sainct.
La seconde mention qu’on retrouve de la fête remonte à 1636, le jésuite Louis Lejeune décrivant, dans ses Relations, la célébration de la Saint-Jean-Baptiste à Québec, à la requête du gouverneur Montmagny. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dès cette époque – les récits ultérieurs le confirment – l’espace de la Saint-Jean-Baptiste est occupé tant par des représentants de l’Église que du pouvoir civil. Ainsi, dans le récit que Le Journal des Jésuites fait de la Saint-Jean de 1650, le représentant de l’Église bénit le bûcher alors que le gouverneur l’allume. D’autres récits indiquent toutefois que c’est le curé qui, d’ordinaire, allumait le bûcher après l’avoir bénit, alors que la milice tirait des coups de feu en guise de célébrations. Le soir de la Saint-Jean-Baptiste, tous les villages allumaient un feu de joie, illuminant les rives du Saint-Laurent et marquant par là le lien unissant les habitants de la colonie.
Outre le bûcher, la Saint-Jean-Baptiste en Nouvelle-France était également caractérisée par différentes coutumes, certaines importées d’Europe alors que d’autres se développèrent sur place, adaptant différents éléments de la mythologie de la fête aux caractéristiques du pays et créant de la sorte de véritables coutumes originales. Parmi celles-ci, notons d’abord la cueillette des herbes de la Saint-Jean qui, un peu comme l’eau de Pâques, devait prendre place avant le lever du jour et conférait à ces herbes des vertus thérapeutiques.
Plus frappante encore était la coutume des bains de la Saint-Jean, en lien direct avec l’histoire biblique du saint. En effet, rappelons que Jean mena un grand mouvement de conversion, antérieur au ministère de Jésus, et qui se caractérisait par le baptême par immersion dans le Jourdain. Or, à l’époque de la Nouvelle-France, il était considéré néfaste de se baigner dans un cours d’eau, particulièrement le fleuve Saint-Laurent, avant le 24 juin. À cette date, les eaux prenaient alors une valeur curative et surtout protectrice des maladies. Le fleuve Saint-Laurent était alors la destination de prédilection des baigneurs qui y amenaient même leur bétail afin de le protéger contre les maladies.
Mentionnons également la coutume du pain bénit, soit un pain confectionné le jour de la Saint-Jean-Baptiste, bénit par le curé et distribué aux membres de la communauté, qui était censé posséder des vertus médicinales, notamment la protection contre l’épilepsie, aussi appelée « mal de Saint-Jean ». D’abord distribué par le seigneur, le pain bénit fut ensuite intégré à la messe de la Saint-Jean-Baptiste. Cette coutume fut cependant découragée par le cardinal Taschereau autour de 1870, puisqu’elle donnait lieu à de véritables concours de gâteaux ornementés, pour réapparaître cependant à la fin des années 1970 lors de la messe de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal.
Si un trait doit ressortir de la Saint-Jean-Baptiste telle qu’elle se fête en Nouvelle-France et aux lendemains de la Conquête, c’est qu’il s’agit d’une tradition dont le côté populaire est fort important, voire prépondérant, sans pour autant que le clergé ne soit absent du portrait. De fait, la fête apparaît riche de coutumes populaires qui, malgré la présence du clergé, n’en gardaient alors pas moins un certain fond magique qu’on observe au travers des rites de protection contre la maladie (herbes, pain bénit, bains), même intégrés à la cosmogonie chrétienne.
Par ailleurs, il importe de noter que saint Jean-Baptiste ne bénéficiait pas, à l’époque, d’une dévotion très importante, le saint patron de la colonie étant, de puis 1624 et sous l’impulsion des Récollet, saint Joseph, qui est fêté le 19 mars. Il faudra attendre en 1834 pour que Ludger Duvernay et un certain nombre de sympathisants patriotes fassent de saint Jean-Baptiste le patron de la nation canadienne et que sa fête devienne la fête nationale.
Bibliographie sélective
Thérèse Beaudoin, L’été dans la culture québécoise: XVIIIe-XIXe siècles, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987.
Donald Luc Boisvert, Religion and nationalism in Quebec : the Saint-Jean-Baptiste celebrations in sociological perspective, thèse de doctorat, Université d’Ottawa, Ottawa, 1992.
Jean Provencher, C’était l’été: la vie rurale traditionnelle dans la vallée du Saint-Laurent, Montréal, Boréal Express, 1982.